Une photo d’Aylan, retrouvé noyé au bord d’une plage en Turquie, ça choque … mais on s’en fout. C’est loin la Turquie. En plus ce n’est qu’un Kurde ! 31 ou 27 corps flottent dans la mer du Nord, Irakiens pour la plupart. On fait la Une du journal télévisé là-dessus, Coco. Finalement on s’en fout aussi. Des Irakiens on vous dit. Des gens même pas d’ici…
On enfourne une cuillère de soupe, on fourchettise une bouchée supplémentaire. tandis que sur l’écran les images se succèdent. Et ça fait des grands chloup, et ça fait des grands chloup, aurait chanté Brel. Qu’est-ce qu’on y peut, nous, ces gens qui viennent mourir sur nos plages pour ne pas vouloir crever ailleurs. Tel est leur destin, non ? On peut regarder sereinement le téléfilm de Noël, déjà programmé depuis plusieurs semaines sur M6 chaque après-midi. Pas besoin de chercher l’excuse d’épluchage d’oignons pour essuyer une larme de crocodile quand Dylan embrasse Kevina tandis que les flocons tombent et que les lumières scintillent dans la nuit – les Leds ça aide vachement pour la magie de Noël – Pendant ce temps-là, des Syriens embarquent sur des bateaux gonflables du côté de Calais, on s’en tape comme de sa première couche culotte. Comme de la gué-guerre entre les deux côtés du Channel aussi, sur qui doit repêcher les corps. Priti Patel – parents rapatriés d’Ouganda dans les années 70 – peut toujours essayer de faire l’arbitre. Peu nous chaut de savoir qui aura la plus grosse … flotte de bateaux de pêche à la coquille Saint-Jacques autour de Guernesey. Comme les Indiens du général Custer, comme les Incas de Pizaro, comme les Albigeois du légat pontifical Amaury, ils peuvent tous crever. Le grand manitou, Viracocha ou Dieu reconnaîtra les siens. Nos victimes de maintenant finissent noyées comme des chatons non désirés au fond d’un vieux bas, dans une vieille bassine – si, si, ça se faisait en campagne, au milieu du siècle dernier- et Bojo fait la roue pendant que not’ Manu fait la moue.
Demain, on aura déjà oublié, poussé à s’intéresser au prix des chocolats qui flambe. C’est généralement le cas tous les ans à la même époque. Demain, on regardera son assiette, peut-être la gamelle du chien, celle du chat. Aujourd’hui, ces animaux de compagnie mangent pour plus cher qu’un habitué du resto du Cœur du coin. Et alors qu’on emmène ces petites bêtes chez le vétérinaire, on s’enflamme contre ces étrangers qui encombrent les urgences. C’est con, les seuls toubibs qui veulent encore travailler aux urgences sont souvent des immigrés. Ne vous inquiétez pas, ils soignerons tout le monde quand même ! En plus, personne ne payera beaucoup plus … La Sécu, c’est quand même quelque chose, quoique que puissent en penser les pourfendeurs de charges, ceux qui pensent qu’ils payent trop, trop de taxes, trop d’impôts. Ceux-là
vont pourtant dans les hôpitaux publics, les écoles publiques aussi. Définitivement quand on transforme le vocabulaire, quand les cotisations sociales deviennent charges, quand on fait de Iel un débat fondamental, quand le monde woke efface l’Histoire et les histoires, le monde tout autour peut clamser. L’onanisme intellectuel fait fi de ces migrants qui boivent la tasse dans la Manche ou la Méditerranée. Pendant ce temps-là, on regarde son bas-ventre et on se gratte l’entrejambe à la manière d’un dessin de Reiser.
On ne peut pas changer le monde, paraît-il. Peut-être un minimum d’empathie, peut-être un minimum de compréhension de ce qui nous entoure. Peut-être dire ce qu’on en pense. Peut-être oublier les économies de marché et la dette qui n’en est pas une finalement puisqu’elle ne sera jamais remboursée. Jamais. Peut-être cesser de se palucher surtout. Sinon, le grand remplacement à la mode Camus, à la mode Zemmour itou, à la mode populiste, viendra toujours venir polluer nos débats. Sinon la troisième dose de vaccin fera toujours peur. Sinon, les bombeurs de torse et les résistants pathétiques des réseaux sociaux, ceux qui en ont déjà plein la gueule aussi, feront de leur monde le nôtre ! Sinon, d’autres Aylan, et leurs parents, à peine humains parce que d’ailleurs, continueront de s’échouer comme des méduses sur le sable fin de la plage …