Il existe des sujets sensibles et des pressions pénibles. Derrière leurs clôtures, certains grands propriétaires jugent parfois avisé de mettre en cause liberté de circulation et bien-être animal, et par ricochet, la liberté d’information. Ce qui conduit à des situations ubuesques qui engorgent les tribunaux du fait de puissants qui se placent au-dessus du droit et jugent les autres hors-la-loi, y compris lorsqu’il s’agit de journalistes de votre journal dans l’exercice de leur métier effectué de bonne foi, avec le souci de la vérité et dans l’unique but d’informer le lectorat.
La nouvelle est tombée avant que les feuilles à l’approche de l’automne ne tombent… Tout est parti d’un communiqué de presse émis par la région Centre-Val de Loire, au printemps 2020 au cœur du premier confinement sanitaire, daté du 27 avril 2020, agrémenté d’un courrier adressé en copie à la ministre de la transition écologique et solidaire, Elisabeth Borne, cosigné par le président de cette région, François Bonneau (PS) et le cinéaste Nicolas Vanier. Cette information partagée avec la presse enfonçait le clou sur le sujet du combat contre l’engrillagement de la Sologne, dénonçant au passage publiquement une poignée de grands propriétaires identifiés. Avec ce texte repris dans un article sur notre site web https://www.lepetitsolognot.fr/ en mai 2020, nous n’imaginions évidemment pas la suite judiciaire qui nous serait réservée de manière tranchante en exerçant simplement notre métier d’informer, à l’heure où il est possible de lire des infamies et propos d’incitation à la haine, homophobes et compagnie bien pires sur les réseaux sociaux en toute impunité…
Ainsi, par courrier en date du 29 septembre 2021, nous nous sommes vus mises en examen pour avoir simplement publié des extraits de ce fameux communiqué de presse (d’autres médias dont une TV sont également concernés). Peu scrupuleux d’engorger les tribunaux, un grand propriétaire parisien (nous ne citerons pas son nom, ce serait lui donner trop d’importance) a donc décidé d’engager une procédure en diffamation devant le Tribunal judiciaire de la capitale (cf. en encadré, explication de la procédure). L’objectif de cette procédure abusive est évidemment de nous intimider et de nous faire taire sur la question de l’engrillagement, afin de pouvoir, en toute tranquillité, continuer à transformer la Sologne en prison à ciel ouvert.
La presse ne cédera pas à l’intimidation !
Pour rappel, le rapport conjointement élaboré par les ministères de l’environnement et de l’agriculture établi en 2019 a pointé du doigt les méfaits de l’engrillagement et souligné ses effets négatifs en matière de tourisme, de paysage, de continuités écologiques et de risques sanitaires aussi bien pour la faune sauvage que domestique. L’argument du droit de propriété souvent invoqué a été repoussé par les auteurs de ce rapport : “contrairement à ce qui peut parfois être allégué, le droit de se clore n’est pas un droit absolu. Les principes et les modalités de la clôture ne sont pas à la discrétion du propriétaire. Ainsi certains types de clôtures constituent un abus de droit”. Cette “atteinte à l’identité de la Sologne” a fait l’objet de nombreux articles dans nos colonnes et nous ne manquons pas de dénoncer depuis des années l’engrillagement croissant de notre territoire. Nous relayons régulièrement les paroles de Solognots, de chasseurs, de promeneurs, d’automobilistes et même de propriétaires… qui s’insurgent de ces méthodes conduisant à une défiguration de la Sologne. Des associations de chasseurs, de randonneurs et de protection de la nature, mais aussi plusieurs élus du territoire, se sont mobilisés afin que l’édification de ces clôtures soit mieux encadrée. La région Centre-Val de Loire a ainsi adopté en 2019 le SRADDET (Schéma Régional d’Aménagement, de Développement Durable et d’Égalité des Territoires) dans lequel une série de mesures réglemente strictement la construction de clôtures autour des propriétés. Désormais, elles doivent respecter une hauteur maximale de 1,20 m et laisser un espace de 30 cm minimum au-dessus du sol. Elles doivent aussi être exclusivement construites à l’aide de matériaux naturels. Même si cette réglementation ne concerne que les clôtures érigées après la révision des plans locaux d’urbanisme, c’est un premier pas. Suite à l’adoption de ces mesures, des propriétaires se sont donc empressés d’édifier des clôtures ne respectant pas ces prescriptions. L’un d’eux n’a manifestement pas apprécié que son action soit dévoilée au grand public et a donc décidé un dernier coup de poker en attaquant en justice, entre autres, les médias locaux. Mais l’encadrement juridique des clôtures est désormais une réalité juridique : la bataille menée ces dernières décennies est en passe de voir ses premiers résultats et ce n’est pas l’acharnement juridique de quelques-uns sur les acteurs locaux qui fera reculer le combat. Nous ne céderons pas aux tentatives d’intimidation visant à nous faire taire. La lutte contre l’engrillagement continuera tant que certains mettront leur bien-être personnel au-dessus du bien commun.
Émilie Rencien et Frédérique Rose
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Les Amis des chemins de Sologne aussi mis en examen !
De la même manière que les journalistes du Petit Solognot, la webmaster de l’association a été mise en examen pour diffamation pour la simple publication d’extraits, sur le site internet des Amis des chemins de Sologne, du courrier du Président de la région Centre-Val de Loire adressé à la ministre de la transition écologique et solidaire.
L’association établie à Brinon-sur-Sauldre a été créée en 1998 et compte plus de 700 adhérents répartis sur les départements du Cher, du Loir-et-Cher et du Loiret (935 exactement en 2021). Elle lutte activement contre l’engrillagement en Sologne mais aussi contre l’appropriation des chemins ruraux. Ses bénévoles se mobilisent régulièrement pour baliser les sentiers de randonnée mais aussi pour ramasser et trier les déchets éparpillés en forêt.
Connue des Solognots, des randonneurs et des associations de protection de l’environnement, l’association est aussi très présente dans les médias nationaux où, aux côtés du cinéaste )Nicolas Vanier et d’élus locaux, elle accomplit un véritable travail de sensibilisation de la population à la question de la protection du patrimoine naturel extraordinaire de notre territoire.
Vous pouvez témoigner de votre soutien aux bénévoles de l’association en vous rendant sur la boutique numérique de l’association : www.lesamisdescheminsdesologne.com/produit et http://www.lesamisdescheminsdesologne.com/page/adhesion
Point de droit : La procédure en diffamation
Le Petit Solognot et les Amis des chemins de Sologne sont mis en examen pour diffamation. Qu’est-ce que cela ?
Tout d’abord la mise en examen ne présume en rien d’une quelconque culpabilité. Cela signifie simplement qu’il existe des indices graves ou concordants que la personne mise en examen ait participé à la commission d’une infraction ; ici la diffamation.
Les journalistes et les associations de protection de l’environnement sont particulièrement exposés à ce type de procédure dans la mesure où ils sont souvent scrutés de près par les pollueurs qui tentent de les intimider et de les faire taire par des procédures judiciaires (on parle dans le jargon de « procédure baillon »).
En effet, il nous faut préciser, qu’en matière de diffamation, la mise en examen est automatique : cela permet d’avoir accès à la plainte et d’être entendu pour se défendre. Une défense s’articule autour de deux éléments : la vérité et/ou la bonne foi.
Il appartient donc maintenant au Petit Solognot et aux Amis des chemins de Sologne de démontrer à la justice le scandale de l’engrillagement de notre territoire par quelques propriétaires terriens fortunés.
Je n’ai, en tant qu’avocat du journal et de l’association, aucun doute concernant la justesse de leur combat pour la Sologne, pour sa nature et pour ses randonneurs. La réalité des comportements qu’ils ont dénoncés comme leur bonne foi seront bien évidemment prouvés.
Louis De Redon, Professeur de droit et avocat
Réactions à la procédure engagée contre Le Petit Solognot
– Richard Ramos (Modem) met les pieds dans le grillage
Le député de la sixième circonscription du Loiret est fort bien connu pour son combat contre la malbouffe et les sels nitrités, pour les AOP, les produits du terroir et les circuits courts. En distribuant des camemberts au lait cru de Normandie aux députés de l’Assemblée nationale, bien que la mission semblait impossible, il affirme avoir réussi son bras de fer contre un puissant de l’agro-alimentaire, Lactalis. Alors quand il a appris la mise en examen des deux journalistes du Petit Solognot, le parlementaire a aussitôt répondu présent, prêt à en découdre et à jeter un pavé dans la mare qu’il lance comme d’autres. “Je suis né à Blois, je connais la Sologne depuis 20 ans. Mon idée est simple : un animal sauvage n’appartient à personne et 98% de chasseurs en Sologne dénoncent l’engrillagement, n’en veulent pas. Il n’y a pas de clôtures en forêt d’Orléans ! Alors pourquoi en Sologne ? Parce qu’il existe 1% à 2% de chasses commerciales qui ne sont ni plus ni moins un ball-trap vivant dont on retrouve les cadavres dans les poubelles du péage d’autoroute à Salbris ! Qu’est-ce qui est le plus fort : le fric ou le droit à l’information ? L’économie face au politique ? Ou encore, le gros propriétaire qui se dit qu’avec son argent, il va faire taire et crever en les asphyxiant financièrement une petite association et un journal indépendant qui se positionnent pour la bonne cause ? Non ! Cela est une question de temps, mais vous savez, on gagne toujours un combat à partir du moment où il est juste. Je suis prêt à aller au tribunal en citoyen si cela va plus loin. Je vais écrire une tribune et j’espère que tous les parlementaires la signeront, y compris Guillaume Peltier. ”
É.R.
– François Cormier-Bouligeon (député LREM du Cher), déterminé mais ouvert au dialogue
Le député macroniste de la première circonscription du Cher a préparé une proposition de loi contre l’engrillagement. Il réaffirme sa détermination à faire cesser cette pratique : « aujourd’hui la question de l’engrillagement de la Sologne fait la quasi unanimité, les habitants sont ulcérés par le paysage balafré. Il n’y a qu’un petit nombre de gens très fortunés qui s’adonnent à ces pratiques pour ne pas comprendre qu’un immense trouble est né dans notre région. Ce trouble doit cesser et je suis déterminé à déposer la proposition de loi que j’ai faite avec les différents acteurs (pour rappel cette loi vise notamment à interdire la chasse en enclos, cf. Le Petit Solognot n°754 du 26 janvier 2021). Le respect du droit de propriété est une chose mais l’abus du droit de propriété en est une autre. Il faut redescendre sur Terre, abandonner les plaintes et saisir la main tendue au dialogue. Je suis atterré de voir le comportement d’un individu qui plutôt que le débat préfère adopter une attitude agressive en portant plainte contre des personnes qui utilisent des droits fondamentaux de notre société comme la liberté de la presse et le droit d’association. J’ai réussi à rencontrer tout le monde au niveau local, il n’y a que ceux qui causent le trouble qui n’ont pas saisi mon appel et j’en suis surpris car je suis le député de tous. »
F.R.
– Guillaume Peltier (LR) veut mettre en œuvre un compromis intelligent
Le député de Loir-et-Cher, conseiller départemental du canton de Chambord, a déposé une proposition de loi, enregistrée en janvier 2021 à la présidence de l’Assemblée nationale “visant à lutter contre l’extension de l’engrillagement de parcelles privées dans nos provinces et à renforcer le droit de propriété”. En ce début d’octobre 2021, l’élu explique notamment que “la Sologne est aujourd’hui défigurée par des milliers de kilomètres de grillages qui coupent nos forêts en enclos. Cette pratique perturbe la libre circulation des animaux qui se retrouvent parqués tel des animaux d’élevage et les conditionne à la consanguinité, la surpopulation et, de fait, détériore la qualité cynégétique de la faune engendrant ainsi des risques d’épidémies. C’est en contradiction totale avec la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, la préservation ou la remise en bon état des continuités écologiques.” Guillaume Peltier reconnaît, comme d’autres hommes politiques l’avaient écrit via un communiqué repris par la presse l’an dernier. “Cette pratique est une aberration environnementale qui s’est encore intensifiée pendant le confinement.“ Il interpelle en sus le préfet de Loir-et-Cher, François Pesneau. “L’État sera-t-il à nos côtés pour mettre en œuvre un compromis intelligent avec toutes les parties prenantes reposant sur le droit de propriété et le devoir d’une Sologne ouverte ? Cette lutte contre l’engrillagement doit prendre en considération l’ensemble des acteurs concernés, trouver des compromis intelligents et équilibrés entre le droit de propriété et la tradition d’une ruralité ouverte, entre le droit de chasse et la préservation de la biodiversité, entre la défense de l’environnement et l’attractivité économique de nos territoires».
É.R.
– Jean-François Bernardin, président de l’ACASCE (Association des Chasseurs et des Amis de la Sologne Contre son Engrillagement) appelle à l’union de tous contre l’engrillagement
“Au-delà de notre soutien naturel à la liberté de la presse, nous ne souhaitons pas que des faits divers, aussi ridicules soient-ils, nous détournent de l’essentiel qui est de sauver la Sologne de son engrillagement. D’ailleurs, nous ne nous battons pas contre des gens, même si nous sommes en profond désaccord avec certains d’entre eux, mais contre les grillages. De toute façon, ces gens mènent des combats d’arrière-garde, cette bataille contre l’engrillagement sera gagnée parce que c’est l’intérêt général et parce qu’en démocratie ce n’est pas l’argent qui commande mais c’est le plus grand nombre. Cela prendra certes un peu de temps, il y faut de la persévérance, il faut aussi l’union de toutes les associations et personnalités qui luttent contre cette pollution. C’est ce que nous avons réussi en cosignant une position commune sur les textes nécessaires qui sont : l’interdiction de la chasse en enclos, la prise en compte dans les documents d’urbanisme des prescriptions du SRADDET et la réécriture de l’arrêté de 1986 sur les pièges à gibier.”
F.R.
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