Les livres dans lesquels on plonge sans pouvoir s’arrêter avant le point final se font rares. Pour la « Dame couchée », il s’agit des dernières années de Lucette, la veuve de Louis Ferdinand Céline. J’espérais trouver une anecdote sur la vie quotidienne de cet écrivain génial et contesté, j’y ai trouvé tout autre chose. Sandra Van Bremeersch, fut l’assistante de vie des vingt dernières années de la vieille dame jusqu’à ses 107 ans. Cette jeune auteure décrit la maison de Meudon et ses visiteurs avec tant de justesse qu’on croit l’avoir visitée. Une narration au scalpel des exigences d’une veuve riche avec son personnel. Mais surtout l’auteure évoque avec brio la transformation d’un corps qui se meurt. Le 107 ème anniversaire de la veuve Destouches comme tous les précédents se déroule avec homards, coupes de champagne, et pâtisseries de chef. « Jack va apporter les homards, les cent septièmes homards de Madame. Tout le petit personnel est invité, à chacun sa bestiole, la seule de l’année qu’on mangera, pour celui qui n’aura pas la chance d’être là aussi pour le jour de Noel loin des siens, afin de déguster, à moitié debout entre le service et l’assiette, le fameux homard, le meilleur de Paris ! » Une seule fois, Céline revient lors d’une hallucination de Lucette : « Et ça remonte, ça remonte jusqu’au cerveau, au bord de la bouche, ça explose, arrivé au regard ça jaillit comme un projecteur dirigé sur un autre monde que nous ne voyons pas, qu’elle est seule à voir. » Le temps qui marque le corps et l’esprit est décrit avec finesse :« Face à ton infini nous sommes tous devenus de semblables petites choses ».
Ce texte court aux phrases ciselées, même s’il parle à peine de Céline, est un bon moment de lecture. Allez savoir pourquoi, j’ai pensé à cette réflexion édifiante de Carette, le braconnier dans « la Règle du Jeu » de Jean Renoir, en plein bois de Sologne : « Je remercie Monsieur le Marquis de m’avoir élevé au rang de domestique ! »
Marieke Aucante
La dame couchée, Sandra Vanbremeersch
Seuil – 17,50 euros