l’histoire de l’été : Les sangliers fossoyeurs : Cauchemar… (suite)


En attendant les vacances, retrouvez le troisième et dernier volet de notre histoire de l’été.
Samedi
Comme cela arrive parfois en début novembre, une petite brume, portée par un vent d’est, enveloppe le clocher de Saint-Viâtre. « Sale temps, il fait gris et froid ! », murmure Caroline en ouvrant ses volets. Les Dubreuil, ressassant le nom de Francis Dulac en boucle, ont passé une nuit quasiment blanche. Toute la soirée, le couple a tenté, bien inutilement, de joindre Romain sur son portable, lui laissant message après message.
Jean, nostalgique, tout en buvant son café, repense au parcours de son fils.
Indéniablement, Romain, qui vient d’avoir trente-trois ans, est un gentil garçon, se dit-il. Non ! C’est un mec bien ! Voilà qui le décrit bien mieux. Une fois ses études terminées, Romain a intégré une école d’ingénieur, pour devenir concepteur de logiciel. Célibataire, il a acheté une petite maison à Bourges, ville qu’il ne quitterait pour rien au monde. Bien qu’il soit obligé de se déplacer régulièrement, son métier lui permet de travailler de chez lui. Romain, a lui aussi, attrapé le virus de la chasse, ainsi que la convivialité qui va obligatoirement avec, sans oublier, une passion énorme pour les chiens. Ce qui permet, au père et au fils, de se retrouver pour passer ensemble des moments de complicité bien sympathiques …
La sonnerie du téléphone sort Jean de sa rêverie. Caroline répond. La conversation dure à peine une minute. La gorge nouée, il entend son épouse dire, avant de raccrocher, « Nous arrivons immédiatement. »
Caroline, qui semble avoir des difficultés à se tenir debout, s’assied, avant d’expliquer à son mari…
« C’était la gendarmerie » murmure-t-elle… « Nous sommes convoqués immédiatement. Jean, j’ai très peur, qu’est-ce qui nous arrive ? »
Les quinze kilomètres à respecter la vitesse, leurs semblent interminables. Pendant le trajet, Caroline se confie. « Tu sais, Jean, à l’instant où le gendarme a prononcé le nom de Francis Dulac, j’ai compris que notre fils était lié à cette histoire. Comment ? Pourquoi ? Je n’en sais absolument rien. En revanche, je suis persuadé que sa déposition ne va certainement pas nous plaire… »
Le couple arrive enfin à la gendarmerie, où, d’évidence, ils sont attendus. Le planton les fait rentrer dans une pièce où, la mine grave, le commandant leur explique brièvement la situation …
« Ce matin, nous avons effectué une perquisition et interpellé votre fils à son domicile. Après enquête, les liens qui l’unissaient à Francis Dulac, nous avaient semblé probants. Nous avons découvert, cachés en haut d’une armoire, deux sacs contenant 300 000 euros chacun. Votre fils, qui se trouve dans le bureau à côté, exige, pour s’expliquer, que vous soyez présents. Bien qu’inhabituelle, j’ai accepté sa requête. Je pense, qu’ainsi, nous allons gagner du temps. Veuillez me suivre, tout le monde vous attend. »
Le commandant fait entrer les Dubreuil dans une grande pièce. Au milieu, assis sur une chaise, entouré de quatre gendarmes, se tient Romain. Ils en reconnaissent deux, qui les ont déjà auditionné. Les autres, galonnés, leurs sont inconnus. Lorsqu’elle voit son fils, Caroline se jette dans ses bras…
Après quelques secondes d’émotion, le commandant prend la parole. « Romain Dubreuil, comme vous l’avez demandé, vos parents sont présents. Vous pouvez donc commencer à parler. »
« Eh bien voilà ! Je connais Francis Dulac depuis l’école primaire, où nous sommes devenus amis. Plus tard, nous avons fréquenté le même lycée. Après la troisième, ses parents ont déménagé, ce qui fait que nous nous sommes perdus de vue pendant six ou sept ans. Un jour, de passage à Bourges, Francis m’a téléphoné. Heureux de nous retrouver, nous avons passé la journée ensemble. De là, nous nous sommes revus régulièrement. Immédiatement, sans me donner aucun détail, Francis m’a avoué qu’il vivait, disons, dans l’illégalité. Sans jamais m’expliquer ce qu’il faisait, nos rapports ont consisté à nous rencontrer au restaurant, soit pour dîner, parfois pour déjeuner, exceptées les périodes où il s’est retrouvé en prison… Sachez que je ne regrette rien. Francis avait sa vie, moi la mienne, et jamais elles n’ont interféré l’une dans l’autre… Excepté ce jour de juin dernier. Mes parents étaient partis passer quelques jours en Espagne. Pendant leur absence, comme je le fais habituellement, j’occupe leur maison pour garder chien et chat. Je reçois, le 10 juin, un appel de Francis sur mon portable. D’une voix hachée, mon ami me demande si je peux l’héberger ce soir, ce qui est complètement inhabituel de sa part… Sans trop réfléchir, je lui réponds qu’il peut venir me retrouver à Saint-Viâtre. Plus tard, je me suis très souvent posé la question de savoir si j’avais vraiment eu le choix. Car, ce que ne m’avait pas dit Francis, c’est qu’avec deux complices, il venait de braquer un fourgon de transport de fonds, braquage qui avait très mal tourné, puisque de nombreux coups de feu avaient été échangés. Avant de prendre la fuite, Francis, saisissant les sacs contenant l’argent, avait reçu deux balles qui s’avèreront être mortelles. Mon ami, après m’avoir raconté son histoire, est mort dans mes bras… »
Le chagrin saisit Romain. La gorge nouée, il continue son récit…
« Que devais-je faire ? Prévenir la police ? C’était obligatoirement un paquet d’ennuis pour moi, mais, plus grave, pour mes parents. Inévitablement, on allait voir en moi son complice. En fouillant, j’ai découvert, caché sous un siège de sa voiture, les sacs qu’il venait de voler. C’est à cet instant que j’ai pris la décision de garder l’argent… En premier lieu, je devais m’occuper de la voiture. Je connais un camp pour les gens du voyage du côté de Bourges. Une fois garé devant, j’ai laissé le véhicule, vitres ouvertes, la clé sur le contact, puis j’ai pris un taxi qui m’a ramené à Saint-Viâtre. Immédiatement, j’ai creusé une fosse pour enterrer mon ami. Je l’ai entièrement déshabillé, puis, j’ai brûlé ses vêtements. Une fois la nuit tombée, j’ai déposé le corps de Francis, dans ce que j’imaginais être sa dernière demeure. Plus tard, j’ai décidé de cacher l’argent, le temps que les choses se calment. Tout aurait dû bien se passer ! Excepté que je n’avais pas imaginé, une seule seconde, qu’une bande de sangliers viendraient une nuit déterrer le corps de mon ami… »

Mercredi
« Jean ! Jean ! Réveille-toi ! Tu parles d’un chasseur. Tu t’es endormi au lieu de guetter les sangliers. Heureusement, qu’ils ne sont pas venus cette nuit…» lui dit Caroline tout en secouant et se moquant gentiment de son mari.
Le dos en compote, Jean, qui émerge difficilement de son sommeil, se tient assis dans la chambre du bout, sa carabine toujours à portée de main.
Alors, une fois bien éveillé, il réalise, heureux et soulagé, que tous ces évènements tragiques n’étaient en fait…, que le fruit de son imagination…
Il avait rêvé !!!
« Caroline, il faut que je t’explique le cauchemar que je viens de faire, tu ne vas pas le croire … »
« Tu me le raconteras plus tard. » lui répond-elle ! « Les enfants viennent d’appeler pour nous confirmer qu’ils viendront ce week-end pour nous aider. Mais la grande nouvelle, c’est que Laurence sera accompagnée de son nouveau compagnon, tu sais, Francis Dulac, le copain d’école de Romain, qu’il a présenté à ta sœur il y a six mois. Leur liaison semble très sérieuse. Alors, mon chéri ! Qu’en penses-tu ? Le couple va peut-être nous annoncer des fiançailles ? »
Alain Philippe