A contre-courant, y compris en eaux troubles par Émilie Rencien


 

Nouvelle année, nouveaux défis. La société change, votre journal évolue. De bon gré, c’est à mon tour de pénétrer dans l’arène de l’expression. Autant annoncer d’emblée que je n’ai pas ma carte de presse dans ma poche. Tout en étant une femme. Antinomie suprême aux yeux d’une poignée de crispés, ostensiblement. « Tu comprends, tu es de sexe féminin, donc pas vraiment journaliste, » me confiait-on récemment, d’un ton plus qu’allègre. « Tu sais, quand une profession se féminise, c’est le début de la fin. » Ah… C’est comme lire les déclarations outre-Atlantique de la porte-parole de la Maison Blanche affirmant sans sourciller que « Dieu voulait que Donald Trump soit président ». De quoi laisser plus que pantois dans l’Hexagone. Le jaune ne me va pas au teint, il convient adoncq de saisir ma plume, libre. «Sois belle et tais-toi » est pourtant un principe largement éculé.

Ce type d’allégations s’avère du même acabit que la main baladeuse au creux des reins lors d’une interview, ou d’un selfie quémandé par un élu « parce que vous êtes trop canon ». Jolie, souriante, mais loin d’être une péronnelle ! On n’enferme pas les « poules » en cage. Cela ne manque jamais de hérisser le poil, carrément de vexer certains egos masculins qui se réfugient tels des enfants gâtés boudeurs dans le mutisme, ou pour lors agissent insidieusement, lorsque une « souris » ose en avoir…  S’en suit une invitation non reçue, une adresse mail qui devient bizarrement subitement erronée à l’aube d’un point presse,  des  évitements face à une plume jugée « trop caustique », etc.

L’ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, nous aura confié lors d’une visite au zoo de Beauval, le sourire séducteur, qu’« en chaque femme réside une panthère »…. En chaque journaliste de surcroît, bien que juchée sur des escarpins. « Rappelons notre attachement à la liberté de la presse » à écouter la poudre aux yeux distillée dans les cérémonies de voeux des élus, quasiment le coeur au bord des larmes. De quoi s’étouffer là encore avec le petit chou à la crème du buffet. Cela devient aussi agaçant, et surtout c’est très français, de placer les individus dans des cases. Il suffit de lire les commentaires haineux en ligne qui ont déferlé suite au choix du jeune chanteur Bilal Hassani, à la perruque blonde ostentatoire, pour représenter la France à l’Eurovision.

En 2019, les esprits s’affichant comme bien pensants préfèrent fustiger puis se cacher la tête dans le sable, stigmatisant la différence heurtant leur vision trop fortement étriquée. Ya -t-il écrit quelque part dans la Constitution qu’il faut se vêtir comme ceci, se marier à tel âge comme cela, et autres considérations étouffantes ? Que nenni. La différence fait partie des richesses à cultiver. Est-ce ça le « nouveau monde », nourri aux réseaux sociaux et aux fake news, standardisé à outrance jusqu’aux fruits à la forme parfaite et à la saveur glyphosatée, autorisant la chasse à la glu et la viande polonaise avariée, préférant se battre pour un pot de pâte à tartiner à l’huile de palme décimant les orangs-outans plutôt que pour d’autres valeurs plus profondes ?

Il existe même des hommes politiques, comme cet ancien ministre, ex-député et président de Conseil départemental, qui vire moscovite tout en gardant son siège de vice-président en Loir-et-Cher. Maurice Leroy, pour oser le citer, est parti vers un autre avenir. Même s’il reviendra, n’en doutons pas, sur ses terres natales sans doute avec des visées sénatoriales. Chut… «De l’ambition et de l’opportunisme », commenteront certains, « un projet de pouvoir », crieront acerbement d’aucuns quant à ce départ pas si inopiné. Autant dire que ça fait jaser dans les chaumières déjà courroucées, aux joues jaunies.

Mais personne ne choisira franchement de mettre les pieds dans le plat, par crainte de la punition en retour, surtout pour beaucoup de rédactions pécuniairement au bord du suicide bancaire. Dans la tourmente, au lieu de courber l’échine de façon subie, pourquoi ne pas prendre le contre-pied et regarder le problème de visu ? En choisissant par exemple d’assumer ses écrits face à l’adversité oppressante, en signant sans pseudo, à découvert. Parce qu’on est fière de sa carte de presse, bien loin d’être communicante ou gratte-papier. Et cela, il faudra s’y habituer, j’exècre les cases. Les matous malotrus sont légion mais pendant ce temps-là, les « souris » affranchies dansent, assurément…