Xavier Patier – Serviteur de l’État le jour, écrivain la nuit.


Xavier Patier : « l’art du roman, c’est de créer une obsession »

Directeur général des services, au Conseil départemental de Loir-et-Cher, il fut également administrateur du château de Chambord de 2000 à 2003.

Serviteur de l’État le jour. Écrivain la nuit. Ou plutôt : à l’aube, aux premières heures du jour, « avant l’heure où les gens se mettent au boulot », dit-il. C’est à ce moment-là que Xavier Patier écrit. Des romans. Des essais. Après, il part lui aussi « au boulot », plutôt éloigné du romanesque : directeur général des services, au Conseil départemental de Loir-et-Cher. Toute la journée, penché sur les budgets des services d’une collectivité territoriale, faire des finances publiques, avec des tableurs excel. Une vie à traquer les économies de fonctionnement, composer avec la baisse drastique des dotations de l’État. S’il a bien un stylo plume sur son bureau, c’est plus pour parapher des courriers et des notes officiels que pour écrire de la littérature…

Pourtant, Xavier Patier a une œuvre de 26 livres, depuis Frère Honorat en 1986, jusqu’à Heureux les serviteurs publié en août dernier. Gallimard, La Table ronde, Les Belles lettres, le Cerf, les Éditions du Rocher… Et deux prix littéraires d’envergure : le prix Jacques-Chardonne en 1994 pour Reste avec moi et Bientôt nous ne serons plus rien, deux romans publiés la même année. En 2009, le prix Roger-Nimier consacre Le Silence des termites. On se demande bien du coup ce qu’il fait là, à 59 ans, Sciences-Po – ENA, ancien rédacteur des discours de Jacques Chirac pendant la campagne présidentielle de 1994-95, au lieu d’être enseignant agrégé de lettres dans un beau lycée d’une province balzacienne, à occuper ses soirées et vacances à l’écriture de ses romans… « On peut vivre avec sa plume, mais manger avec sa plume c’est plus rare », sourit-il à la question du petit journaliste provincial, maintes fois posée. « J’aime le service public actif, pour moi il n’y a pas de dichotomie entre ça et écrire des livres ». S’il admet qu’il y a eu des périodes où il a plus ou moins écrit, il n’a pas pour autant « renoncé à la passion des lettres. Je n’ai jamais eu de conflits d’agenda ».

Un faible pour Chardonne, et ses faiblesses

Marié, 6 enfants, il a sans doute du batailler ferme par moment pour se dégager ses plages d’écritures, même matinales… « Si on ne regarde pas la télé et qu’on consacre le temps qu’on a de libre à l’écriture, on peut », assure-t-il. « Si on fait un truc qui n’a rien à voir, il n’y a pas de conflit. Je m’attache à produire des écrits propres, sans mélanger les genres ». Une habitude qu’il tient en partie d’un de ses premiers éditeurs chez Gallimard, l’académicien Michel Mohrt, grand ami d’un autre immortel Michel Déon, qu’il a côtoyé aussi. Est-ce grâce à ces « relations » qu’il a publié son premier roman dans la prestigieuse collection « blanche » ? « Mon premier manuscrit, je l’ai photocopié en plusieurs exemplaires, et je l’ai envoyé aux grandes maisons, tant qu’à faire. Gallimard, Grasset, Flammarion… Gallimard a été le seul à me répondre favorablement ». Au sixième roman, le premier prix littéraire tombe : Jacques Chardonne, non pour un mais deux romans publiés la même année (1). L’auteur du Bonheur de Barbezieux, à qui on fait souvent grief du passé collaborationniste sous l’occupation, fait pourtant briller l’œil de Xavier Patier : « J’ai un faible pour Chardonne et aussi pour ses faiblesses. Qui peut dire qu’il n’aurait pas fait la même chose à l’époque ? ». C’est pour mieux souligner le talent de l’écrivain moraliste charentais des Destinées sentimentales, qui n’eut pas d’équivalent depuis pour décrire la société et les mœurs d’une bourgeoisie très balzacienne : « en trois lignes, on est plongé dans Chardonne… ».

Houellebecq, le nouveau Proust

Dans l’univers des romans de ce serviteur de l’État pas comme les autres on croise aussi souvent des personnages religieux, des univers ecclésiastiques sous l’angle de la fiction voire de l’intrigue virant au thriller psychologique. Est-ce la fréquentation de la messe qui inspire ce croyant assumé ? A-t-il des idées de roman lors d’homélies soporifiques ? « L’univers de la préoccupation religieuse prête au romanesque, complètement. Qu’est-ce qui fait qu’il y a un roman ? Une tension entre le bien et le mal. Regardez Mauriac : toute son œuvre est inspirée par un surmoi religieux. Aujourd’hui, je trouve qu’il n’y a plus grand-chose à raconter dans les romans français qui sortent, et j’en lis peu. Il y a plus d’introspection que de grandes fresques, mais ça manque de transcendance. Le roman français a aussi du mal à imaginer des styles nouveaux, comparativement aux Américains ». Sauf un, à ses yeux, qui reviendra plusieurs fois au cours de l’entretien : « Michel Houellebecq… Les Particules élémentaires, quel livre ! C’est proustien. Plateforme aussi c’était très bon ». Et Soumission ? « Oui, mais ça manquait de transcendance. Ça n’est pas à mes yeux le meilleur Houellebecq ».

Écrire oui, mais quand ? 

Bon. Tout cela est très bien. Mais comment fait-on concrètement quand on a une idée de roman dans la tête, qu’on écrit de 7 heures à 9 heures du matin, et qu’on passe ensuite le reste de la journée happé par les finances publiques derrière un bureau jusqu’au soir ? « Stéphan Sweig disait : ‘si tu arrives à te retenir d’écrire, n’écris pas’. L’art du roman, c’est de créer une obsession. Il faut être obsédé par le récit, écrire dans un état de quasi transe. Je n’ai plus le problème de la remise en route, je suis capable de réchauffer la machine rapidement. Et vous savez, on atterrit quand on écrit… ». L’arrivée des deux prix – Chardonne et Roger-Nimier, en 1994 et 2009 – n’auraient-ils pas un peu fait décoller l’écrivain Patier ? « À l’époque du prix Jacques Chardonne, en 1994, j’étais conseiller de Simone Weil et j’écrivais des discours pour Jacques Chirac qui préparait la présidentielle. C’était quelque chose vous savez d’écrire des discours pour Chirac… Il fallait faire du Chirac, sinon ça ne marchait pas… Alors le prix Chardonne, oui, mais la vraie reconnaissance, c’est quand Gallimard m’avait dit, en 1986, ‘passez nous voir’ après la réception de mon premier manuscrit. C’est Jacques Réda qui a publié mon premier roman. Il y a eu beaucoup de presse. Après ça, Jean-Edern Hallier m’avait pris en affection, il avait créé Les Nouveaux Hussards, en référence aux Hussards de l’époque de Nimier, Blondel, Déon, Chardonne, Morand… Il voulait que j’y sois. Il y avait Alexandre Jardin, Didier van Cauwelaert, Élisabeth Barillé. Mais on atterrit très vite quand on voit qu’au bout de six mois votre livre est oublié… Sauf pour quelques uns… ».

Le succès : griserie des écrivains

« J’ai connu toutes les formes de déchéance », disait ironiquement Emil Cioran, « y compris le succès ». Avec une œuvre et des prix littéraires, Xavier Patier serait-il tenté par la griserie ? Comme il a été aussi jury lui-même de prix littéraires, il garde la tête froide sur ce qui peut faire ou défaire un livre : « lors d’un jury, on voit que les gens parlent de l’auteur et de l’éditeur, plus que du livre lui-même. La notion de prix littéraire est abjecte : les écrivains sont souvent des gens fragiles, ils s’identifient à ce qu’ils font. Un livre qui ne marche pas, c’est violent ; mais un livre qui marche aussi. Peu d’écrivains refusent le succès. Sartre a refusé le Nobel, mais pas le succès ».

Alors, quand on demande à Xavier Patier s’il est heureux de revenir près de Chambord, où il résida dans les parages entre 2000 et 2003 (comme administrateur du château), il reconnaît que c’est là où il a écrit le plus de livres : « quatre en trois ans, deux romans et deux essais (dont La Chasse, prix de la fondation François Sommer) ». Un lieu qui inspire donc. Une idée pour un prochain roman ? « Rien pour l’instant », dit-il. Mais il on est prêt à parier le contraire en l’écoutant dire en guise d’au-revoir : « un écrivain a le devoir de tout dire. La seule obscénité, c’est de se taire ». Alors on en reparlera.

F.Sabourin

Reste avec moi et Bientôt nous ne serons plus rien, chez La Table ronde.