UN PETIT VERRE Il a fait chaud, mais pour la vigne la canicule commence au-dessus de quarante degrés. Constat optimiste après vendanges, avec Bertrand Minchin, vigneron en valençay et menetou-salon.
Pierre Belsoeur
Avec sa tête de diable gourmand et son regard joyeux, Bertrand Minchin plonge son verre dans le foudre où il laisse fermenter son pinot à pleines grappes. «C’était l’année où jamais de faire cet essai.» Il a foulé son raisin au fur et à mesure qu’il emplissait le foudre et le parfum qui s’en échappe rappelle celui des chais de la vallée du Douro au Portugal, là où l’on produit le porto. Lorsque l’on déguste le jus fermenté on est frappé par sa richesse et sa structure. «Pour moi qui suis un adepte de l’égrappage depuis toujours -je l’ai pratiqué cette année encore pour mes cuvées classiques- la rafle cette fois-ci ne risque pas de donner des goûts herbacés au vin. Je ne sais pas ce que va donner ce type de cuvée mais il faut essayer.»
«Une année exceptionnelle, conclut le vigneron. Il a fallu lutter contre le mildiou en raison d’un printemps très humide, mais l’hiver et le printemps pluvieux ont surtout eu des effets bénéfiques en permettant à la vigne, profondément enracinée, de bien résister à cet été sec et chaud. Contrairement à 2003, nous n’avons pas connu de températures au dessus de quarante degrés qui dessèchent les grains, si bien que nous retrouvons une vendange de grande qualité et une quantité normale.» Une année bienvenue pour le vigneron qui n’avait rien récolté en 2016 dans son vignoble de Menetou, les coteaux de Morogues ayant été ravagés par le gel et obtenu une toute petite récolte en 2017.
Heureusement l’investissement dans le vignoble de Valençay voici quinze ans (Le Claux Delorme 14,5 ha à Selles-sur-Cher en valençay et touraine) lui a permis d’amortir ce très mauvais passage.
«Cette année on a frôlé le gel à deux reprises sur le vignoble de valençay, mais nous avons finalement été épargnés. La diversification n’était pas seulement destinée à faire face aux aléas climatiques. Elle nous permettait d’avoir un joli valençay 100% sauvignon en entrée de gamme, qui n’a évidemment rien à voir avec le menetou blanc très minéral produit à Morogues. Par ailleurs, je me fait plaisir avec les assemblages de rouge, mariant le fruit du gamay, la densité du côt, la fraîcheur du cabernet franc et la finesse du pinot noir.»
Le valençay n’est pas un vignoble d’appoint pour Bertrand, la meilleure preuve c’est le « Franc du côt-lié » un assemblage de vieille vigne en côt et cabernet élevé comme les rouges de Menetou en cuves en chêne tronconique.
Une vendange précoce
Avec la chaleur de juillet et août les raisins ont mûri dans d’excellentes conditions offrant des baies aux parois fines avec beaucoup de jus aromatique et des degrés alcooliques au dessus de la moyenne (13,5° en rouge comme en blanc). Les vendanges ont démarré dès le début du mois de septembre pour le chardonnay des parcelles de Selles-sur-Cher et se sont enchaînées jusqu’au début du mois d’octobre pour les rouges de valençay. Au domaine de la Tour Saint-Martin comme au Claux Delorme on vendange les rouges à la main, avec vingt-cinq vendangeurs d’un côté, quinze de l’autre et une équipe de dix vendangeurs bulgares passant, selon les besoins d’un domaine à l’autre. « L’excellente qualité des raisins et les conditions climatiques idéales nous ont permis de prendre notre temps et de vendanger les parcelles au summum de leur mûrissement. » Une vendange précoce, mais sans précipitation. Les fermentations se terminent pour le rouge comme pour le blanc. Là encore la chaleur n’est pas un inconvénient. « Avec nos cuves thermo régulées il est plus facile de refroidir les jus que de les réchauffer. » L’évolution de la vendange et de la vinification va donner des blancs commercialisables avant la fin du mois de décembre. Et ils seront bons.
«Comme me le disait un acheteur l’autre jour, sourit Bertrand Minchin, c’est une année à risque… pour les mauvais vignerons qui n’auront aucune excuse à faire valoir s’ils présentent un 2018 simplement moyen».
Alors un tout petit peu de patience avant de déguster le nouveau cru… avec modération bien entendu.
COM ▶ Tous les vignobles ont le sourire
Benoît Roumet, directeur du bureau interprofessionnel des vins du centre (BIVC), est un excellent communiquant. Mais cette année, son art de la litote est au chômage technique. Tout s’est bien passé pour châteaumeillant, sancerre, menetou, quincy et reuilly même si ces deux derniers vignobles ont davantage ressenti les effets de la sécheresse dans les parcelles plantées sur des sables. L’artiste n’a pas besoin de tempérer sur tel ou tel vignoble un peu moins favorisé par les cieux.
« Seul le printemps a été problématique pour les vignerons en bio ou bio dynamique. Il fallait être précis dans les interventions. Mais à la différence de nos collègues du midi moins habitués à ces phénomènes très humides et qui ont beaucoup souffert du mildiou, nous, nous savons faire. »
Alors, 2018, année à rouge ou à blanc ? « La question ne se pose pas, c’est une année exceptionnelle. Jusqu’à les réunions de pré-vendange, tout le monde disait qu’il faudrait de la pluie. Ce manque d’eau a effectivement conduit à une évolution plus lente des raisins mais à une très bonne transformation de la pulpe en jus. »