Le 1er juillet la vitesse maximale sur les routes départementales sera portée à 80 km/h. Pour la première fois dans l’histoire de la sécurité routière, une réforme qui prétend sauver des vies se heurte à l’hostilité d’une majorité de Français. Il faut préciser que la réforme arrive en même temps que les voitures-radars automatiques privées. Or, 90 000 Français perdent leur permis chaque année, et un sur trois perd son emploi par la suite. L’opinion publique jusque là très favorable à la prévention routière marque le pas. La réforme semble même opposer les Français des villes et ceux des campagnes…
C’est l’histoire d’un homme politique qui pensait que prendre une mesure impopulaire pouvait donner une stature. C’est aussi l’histoire d’un lobby qui avait jusque-là œuvré efficacement pour faire baisser le nombre de victimes sur la route, mais qui s’est grisé. Il est tombé dans l’intransigeance jusqu’à retourner contre lui une opinion publique qui lui était jusque-là favorable.
C’est l’histoire d’une mesure qui démarre mal car elle est incomprise. Durant les 40 dernières années, les différentes mesures visant à restreindre un peu les libertés pour plus de sécurité sur la route s’étaient toutes heurtées à une contestation, mais c’est la première qui est passée en force, sans concertation et se heurte à une opposition ferme de deux Français sur trois.
Une réforme contestée
Pire, le lien entre une partie des Français et leur automobile est si puissant que cette réformette vient cristalliser une opposition entre deux France : les Français de province qui ont besoin de leur voiture pour se déplacer et les Français des métropoles incarnés dans cette histoire par des politiques qui décident et des journalistes qui commentent… ceux-là vivent à Paris et n’ont pas d’automobile.
L’histoire avait bien commencé, avec des zones test en place depuis deux ans. Pour être efficaces, les spécialistes de la sécurité routière avaient bien prévenu qu’il faudrait attendre 5 ans. On commençait tout juste à examiner les chiffres… et puis, patatras ! Sous la pression de l’association « La Prévention Routière », en oubliant même d’en parler au Président de la République et au ministre de l’intérieur, le Premier ministre décide de généraliser la mesure. Pourquoi ? Où sont les études d’impact ? On nous raconte seulement que les décès ont baissé sur les segments testés, sans préciser que beaucoup ont fait l’objet d’aménagement des infrastructures… Il n’existe aucune étude sérieuse capable de démontrer que cette mesure aurait un impact favorable sur notre sécurité. On sollicite enfin l’avis des spécialistes. On s’aperçois que la « vitesse maximum autorisée » et le niveau de décès dus à un accident de vitesse ne sont pas nécessairement liés. Le Danemark et l’Angleterre ont une mortalité routière inférieure à trois décès pour 100 000 habitants. Or, le Danemark a augmenté les limitations de vitesse de 110 à 130 km/h sur son réseau autoroutier. Et au Royaume-Uni, on roule à 100 km/h sur le réseau secondaire. C’est aussi le cas en Allemagne où le nombre de tués sur la route a été le même qu’en France en 2013, pour 20 % d’habitants en plus. On s’aperçoit même que les français ne roulent pas si vite que ça puisque la vitesse moyenne constatée sur les routes limitées à 90 km/h est de 82 km/h !!!!
En fait la mortalité vient d’un réseau plus important que chez nos voisins, donc moins bien aménagé. Si on pousse les études, on va démontrer que la sécurité passe d’abord par des millions d’euros d’investissement pour améliorer nos routes, impossible en ces périodes de restrictions budgétaires.
Impossible de faire marche arrière sans que le Premier Ministre ne mange son chapeau. Le passage en force est tel que le gouvernement ne prend pas même soin d’attendre les conclusions d’une mission sénatoriale sur le sujet.
La Prévention routière monte à la va vite un rapport de 24 pages, 30 tableaux et 8 853 000 chiffres, vantant le grand bienfait de circuler à 80 km/h sur les routes bidirectionnelles de France. Un miracle d’étude trop compliquée pour être reprise par les médias nationaux mais qui ne convainc pas les spécialistes. Il faut dire que la Prévention Routière n’a pas peur d’inventer une formule mathématique qui lie vitesse et décès sur la route (1 % de vitesse en moins = 4 % de morts en moins)… Donc, il suffirait de réduire la vitesse de 25 km/h pour qu’il n’y ait plus aucun mort sur les routes de France, c’est très crédible !
Français des villes, Français des champs
Cette histoire a permis de constater que les français des métropoles n’utilisent pas les routes départementales et n’ont pas souvent de voiture. La semaine suivant l’annonce de la mesure, les commentateurs politiques ne comprenaient pas pourquoi le Premier Ministre avait perdu des points dans les sondages « Ce doit être les conséquences de la gestion du dossier Notre-Dame-des-Landes, nous pensions pourtant qu’il l’avait plutôt bien géré » nous disait Christophe Barbier sur le plateau de la matinale de BFM… Tout grand commentateur politique qu’il est Monsieur Barbier n’a peut-être pas de voiture. Son incompréhension illustre le décalage qui existe entre nos « élites » concentrés sur la capitale et nous. Sans tomber dans les clichés anti système, on comprend que ceux qui ont inventé cette réforme pétrie de bonnes intentions ne sont pas les utilisateurs des routes départementales.
La mesure entrera en vigueur le premier juillet. La formule mathématique de la Prévention Routière n’est guère crédible. Aucune étude n’a recherché l’impact réel de la mesure. On ne sait pas si elle va détourner les vacanciers des routes départementale et aggraver l’accidentologie des autoroutes. On ne sait pas comment nos véhicules conçus pour des vitesses moyennes de 80 à 90 km vont être maniables à des vitesses moyennes inférieures. On ne connaît pas l’impact de la cohabitation avec des véhicules lents devenus indoublables. Nous savons que trop d’automobilistes sont en infraction en excès de vitesse, mais personne ne nous a expliqué en quoi la baisse de la vitesse maximum autorisée va motiver celui qui est en excès à ralentir.
En l’absence d’étude sérieuse, c’est le saut vers l’inconnu quant aux résultats. Il reste une certitude, avec les limitations actuelles, plus de 34 500 PV pour excès de vitesse sont dressés chaque jour, et plus de 14 millions de points de permis sont retirés chaque année. Avec l’arrivée des voitures radar privées qui tournent 8 heures/jour 5 jours sur 7. Ces chiffres vont exploser. La prise de risque sera plus forte pour ceux qui assument l’excès, mais statistiquement, ceux qui s’efforcent de respecter la loi seront également impactés. 90 000 personnes perdent leur permis chaque année, et une sur trois perd son emploi par la suite. 6 à 8 % des automobilistes n’ont pas de permis, donc pas d’assurance… Espérons que tout ça ne transforme pas la route en zone de non droit. Les gendarmes n’ont pas fini d’être confrontés à des délits de fuite.
Il y a au moins une certitude, le Premier Ministre ne peut pas tenir son objectif de « réduire les accidents dus à des excès de vitesse » Là il aurait du réfléchir avant de parler, car en baissant la vitesse maximum autorisée, il va juste faire exploser le nombre d’accidents dus à l’excès de vitesse. Comme quoi la mesure n’a vraiment pas été réfléchie !
Christophe Matho