Sur la trace des castors entre Saint-Satur et Cosne-sur-Loire
Ils sont là, mais on ne les voit pas. Avec un bon guide cependant on peut détecter les passages de castors sur les rives de la Loire. Et ils ne manquent pas sur les îles du fleuve sauvage dans le département du Cher.
Ce n’est parce que vous n’en avez jamais vu qu’ils n’existent pas. Christophe Renaud, agent de l’office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCSF), le spécialiste castor du département du Cher n’en a vu que trois en vingt-cinq ans de carrière sur le territoire dont il a la charge. «Et encore un d’entre eux était coincé dans une écluse. En fait les castors sortent et travaillent la nuit et vivent dans des terriers dont l’entrée se trouve au dessous du niveau de l’eau. Lorsque l’on repère un terrier ouvrant à l’air libre, c’est un terrier d’hiver et il est vide».
Comment satisfaire, dans ces conditions, la curiosité d’un journaliste ? En lui donnant rendez-vous, un beau matin d’août pour une descente de Loire entre Saint-Satur et Cosne-sur-Loire. Le lever de soleil sur la Loire brumeuse est déjà une raison d’embarquer dans le canoë de l’ONCSF.
«La Loire est déjà basse comme en fin d’été» constate Christophe Renaud, qui dirige notre embarcation en jetant un coup d’oeil sur les rives sableuses de l’île qui jouxte le golf de Sancerre. La navigation est donc compliquée, en raison des bancs de sable qui ne laissent parfois que quinze centimètres d’eau sous l’embarcation, mais aussi aux grosses roches qui affleurent. Il s’agit de se méfier des remous qui signalent la présence de ces roches et du courant. Le survol d’un balbuzar pêcheur est salué par mon guide. «Il entame sa migration post nuptiale, apprécie Christophe. Plusieurs couples sont installés dans le Loiret, ce sont de très beaux petits rapaces.» Plus tard, à notre descente de bateau, cette observation est saluée par ses collègues restés à bord de la voiture de service. «Avez- vous pu voir la curieuse bande noire sur son oeil ?» Moi je ne l’ai aperçu que de dos, le temps de réagir aux indications de Christophe, il avait poursuivi sa route vers le sud. La Loire est un corridor biologique, mais il faut avoir l’oeil pour apprécier sa richesse.
Le castoréum, un parfum musqué
Et nos castors, au fait ? Justement, l’oeil exercé de Christophe, conforté par ses jumelles, vient de repérer des descente sur la rive sableuse de l’île. Comme des traces que laissent les enfants lorsqu’ils transforment une pente en toboggan naturel. Là, le toboggan est beaucoup plus étroit et termine sa course dans l’eau. Des castors, mais oui, la trace laissée par leur queue est sans équivoque mais surtout ils ont déposé du castoréum, une substance qui permet d’imperméabiliser leur poils… et de marquer leur territoire. L’odeur est forte, mélange de goudron et de cuir, mais pas désagréable, on s’en sert d’ailleurs dans la parfumerie (rassurez-vous, on ne tue plus les castors pour récupérer la glande produisant le castoréum, un produit de synthèse a été mis au point). «Cette présence de castoréum, commente Christophe Renaud, témoigne de la présence de plusieurs familles. Dans un terrier on trouve les parents, les petits nés l’année dernière et ceux de l’année en cours. Les étrangers ne se risquent pas sur le territoire marqué par la famille». En explorant la rive on retrouve pas moins de cinq descentes dont une à l’évidence date de la nuit même. Le castor ne s’éloigne pas de plus de quinze à vingt mètres de la rive. Des jeunes pousses de saules étêtées, des troncs d’arbres dont l’écorce a été rongée sur cinquante centimètres témoignent que nous sommes bien au milieu du garde-manger familial. Pas de trace de chantier en revanche.
En continuant notre descente nous trouvons un terrier, ouvert au milieu d’un enchevêtre des racines d’un gros arbres, un mètre cinquante au dessus du niveau de l’eau. «Il faut que le niveau soit supérieur de plusieurs dizaine de centimètres, rappelle Christophe. Le castor regagne son habitat en plongeant et la galerie remonte ensuite pour que le terrier soit hors d’eau».
Notre descente se poursuit, accompagné par l’envol des aigrettes dérangées dans leurs pêches d’alevins et de hérons plus craintifs encore. Le soleil fait briller le plumage bleu du martin-pêcheur, le cormoran est en revanche aux abonnés absents.
Notre mission de repérage nous amène aussi à examiner les roches émergées où les loutres pourraient laisser des traces. En vain, Christophe Renaud qui est aussi le correspondant loutres pour le Cher n’en a jamais vu, même si des traces témoignent de la présence de quelques individus.
Il nous faut quitter le canoë pour trouver sur la Petite Loire un témoignage encore plus spectaculaire de l’activité des castors : un barrage et le chantier voisin d’où les rongeurs costauds (ils peuvent atteindre une vingtaine de kilos) tirent le bois qui leur permet de consolider leur ouvrage. Les traces de dents sur des branches de vingt centimètres de circonférence coupées en biseau ne laissent aucun doute sur l’identité des bâtisseurs. Ils ont même rouler des pierres trouvées dans le lit de la rivière pour colmater la base de leur barrage. Pourquoi cette retenue d’eau ? Pour éviter que l’entrée de leur terrier ne soit plus inondée et ce qui les mettrait à la à la merci des prédateurs.
Evidemment ces découvertes sont plus faciles à faire en compagnie d’un garde de l’ONCSF, mais ouvrez l’oeil, les castors ont bel et bien colonisé les rives de la Loire. Pour le plus grand bien de la biodiversité.
Pierre Belsoeur
50 spécialistes castors
Christophe Renaud, berrichon de souche originaire de l’Indre est l’un des cinquante agents de l’ONCSF spécialistes castors qui veillent sur les quarante six départements français où le castor est présent. Sa mission : assurer les constats techniques de dégâts et proposer des mesures de protection permettant aux agriculteurs de cohabiter avec le castor, suivre l’évolution de la répartition de l’espèces sur les différents cours d’eau de son territoire. Une activité qui n’occupe toutefois que 10% du temps de travail de ce spécialiste de la faune et de la flore du fleuve royal.
Merci à lui et à ses deux collègues de l’ONCSF, Gérald Perreau, chef de service et Adrien Delangle qui ont rendu possible ce reportage.